
http://polaroid41.com/charles-juliet/
Mardi 15 Juin 2021, 14h54.
Le mois dernier j’ai préparé un atelier d’écriture pour une prestigieuse école d’ingénieurs basée à Toulouse. A cette occasion j’ai effectué des recherches sur les différents types d’ateliers d’écriture et plus largement sur le processus même de l’écriture. L’idée était de proposer ce module au personnel encadrant de cette école, quelque peu ébranlé par la crise sanitaire que nous venons de traverser. Tenter, par le biais de l’écriture et de jeux d’écriture, de s’exprimer, de s’évader un peu, de rêver à nouveau.
Avec la curiosité et l’émerveillement de l’autodidacte que je suis (et que je resterai c’est certain) je me suis lancé dans la lecture de plusieurs ouvrages traitant de l’écriture et je crois bien que j’ai fait une trouvaille. S’il est possible de rencontrer quelqu’un sans l’avoir jamais croisé alors j’ai fait une rencontre. Le monsieur s’appelle Charles Juliet. Il est né en 1934 dans le Jura et a survécu à une enfance totalement fracassée grâce à l’écriture. Je me suis passionné pour l’œuvre de ce grand homme et plus simplement pour l’homme lui-même. Il est d’une sincérité désarmante et d’une authenticité rare. Il a obtenu le prix Goncourt de la poésie pour son recueil Moisson en 2013, et le grand prix de l'Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2017, mais il commence chaque interview en nous racontant sa blessure initiale, celle de son enfance. Le vieil homme souriant et malicieux nous raconte tranquillement qu’il a été arraché à sa mère à l’âge d’un mois. Il ne la connaîtra jamais et apprendra le décès de cette dernière dans un asile psychiatrique sept ans plus tard. Elle y est morte, à 38 ans, privée de nourriture, de chauffage et de soins par le gouvernement de Vichy. Entre temps, il grandit dans une famille de paysans jusqu’à ses douze ans, âge auquel il devient enfant de troupe jusqu’à ses vingt-trois ans. Il entame ensuite des études de médecine, mais réalise bien vite qu’il souhaite devenir écrivain.
Ce qui m’a frappé dans la trajectoire de cet homme, c’est la puissance de son engagement dans l’écriture alors même qu’il n’a quasiment jamais lu de livre et qu’il ne se sent pas capable, et encore moins autorisé, à écrire. Pendant les quinze années qui vont suivre, il va lire tout ce qui lui tombe sous la main et entamer la rédaction de son journal intime (le dixième tome vient de paraître). Quinze ans avant d’être publié pour la première fois. Il va travailler, trébucher, manquer de renoncer plusieurs fois, mais continuer malgré tout à « faire ses gammes » comme il le dit si bien. On lit souvent des articles sur des écrivains qui nous confient qu’ils ont toujours voulu écrire, voire qu’ils ont toujours été écrivains. Ils écrivaient des nouvelles avant même d’avoir perdu leurs dents de lait. Pas Charles Juliet. C’est un laborieux magnifique. En parlant de lui à la deuxième personne du singulier, il file la métaphore avec le monde paysan, ce qui me ravit : « Tu vas devoir dévorer des centaines voire des milliers de livres, mais ce labeur à venir ne t’effraie pas. Tu as gardé ta mentalité de paysan. […]Tu es tenace, obstiné, et tu te promets que ce sillon que tu commences à ouvrir, tu l’ouvriras quoi qu’il arrive jusqu’à l’autre extrémité du champ ». La situation dans laquelle il se trouve est intenable, il ne peut ni écrire, ni renoncer à écrire. Il doit écrire, ce qu’il va faire, et de quelle manière…
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Polaroid intégral (photo, texte et audio) disponible sur : http://polaroid41.com/charles-juliet/