Quand j’ai retrouvé mes esprits, il faisait toujours nuit. J’ai entendu un bruit lointain, dont l’écho se perdait entre les vallées. On entendait une mélodie où dominaient les basses. Je sentais les ondes vibrer dans ma poitrine. Faiblement éclairé par un rayon de lune, un panneau se tenait là. Il était écrit “ Val des Amants Perdus.” Ça sonnait un peu kitsch et exagérément mélodramatique mais après tout pourquoi pas, la musique me plaisait. . J'ai suivi un raidillon qui menait à une grande plaine. Une foule de gens s'y étaient réunis, au milieu de nulle part. Les lumières bleues, vertes, rouges et violettes venaient lécher le ciel comme éclats d’une marmite bouillante. De toute évidence, c’était une grosse rave quoi.
Musiques :
Souvenir d'enfance - Maxime Verdoni
Keep the streets empty for me - Fever Ray
Tomorrow's Ghost - Buzz Kull
Arabesque No.1 - Andantino con moto, Debussy
It's a fine day - Jane
Fine Night - Goreshit
Quelques heures plus tard, j’étais attablé dans la salle à manger d’un couple de paysans âgés. Ils n'avaient pas hésité une seconde à m’offrir le gîte et le couvert.
En repartant, le vieux paysan me fit faire une petite promenade autour du hameau. Ils cultivaient quelques parcelles, toutes soigneusement encadrées par un ruisseau qui coulait avec entrain.
“ C'est grâce aux larmes de la fée, elle pleure pis nous ça nous arrose nos récoltes ! ct’une une vraie bénédiction ! ”
Il devait blaguer ou inventer sans doute. Si je croyais peu en son histoire étrange, elle avait quand même piqué ma curiosité. Un quart d’heure plus tard, je traversai les champs en remontant le fil du cours d’eau. Il serpentait dans la plaine depuis l’orée des bois. Je marchais depuis une demi-heure quand j’ai entendu des pleurs au loin. A chacun de mes pas sur les pierres moussues, les sanglots se rapprochaient.
Musiques :
Souvenir d'enfance - Maxime Verdoni
Fourth of July - Sufjan Stevens
One of the girls - Otha
En arrivant à l’orée des bois, le paysage baignait dans la lumière de la pleine lune. J’étais arrivé en haut d’une corniche qui dominait une large plage de sable d'un blanc laiteux. Il me semblait qu’on y donnait une fête. Une musique venue d’une autre époque montait jusque sur les hauteurs. Des silhouettes tournoyaient en duo au rythme de la mélodie. Accroupie derrière un buisson, se tenait une femme vêtue d’une élégante robe de bal rouge.
Voix : Pierre Giraudeau, Madeleine De Blic, Ange Fabre.
Musique :
Souvenir d'enfance, Maxime Verdoni
Today and it's gone, Carlos Cipa
Valse No 2, Dimitri Chostakovitch
Transgender, Crystal Castles
Waltz of the Knells, Joshua Kyan Aalampour
Le doux grésillement des roues de vélo sur une piste de terre. J’adore ce bruit. Le vent frais sur mes joues. Ça aussi, ça me plaît. Les clairières s'inclinaient au vent, traversées des zébrures blanches et galopantes de la lumière du jour. Je me sentais vraiment bien. Heureux et insignifiant devant la majesté des choses simples. Mais déjà, des nuages noirs enjambaient la ligne d’horizon.
Voix : Ange Fabre, Malika Cheklal, Malo Janin.
Musiques :
Souvenir d'enfance, Maxime Verdoni.
Danse macabre (Totentanz), Franz Liszt.
Santa Maria in c minor, Sokratis.
Arabian Knights, Souxsie And The Banshees.
Au bout de quelques jours, peut-être quelques semaines, je ne sais plus exactement, je me suis décidé à partir. Partir, c’est tout et c’est rien. J’aurai très bien pu partir pour faire sensiblement la même chose que ce que je faisais déjà. Je pouvais continuer mes balades de somnambule à la tombée du jour. J’avais fait mon sac et m'étais assis dans un train pour voir du pays. Encore aujourd'hui je saurai pas te dire si je me suis trompé de quai en gare ou si j'ai trop dormi et raté mon arrêt. Je suis seulement sûr que la destination où je suis effectivement arrivé n’était pas celle que j’avais prévue.
Premier épisode du Podcast Les Rivages Perdus.
Voix : Pierre Giraudeau, Ange Fabre, Arthur Carn.
Musiques : Souvenir d'enfance, Maxime Verdoni.
Fade to Grey, Visage.
Arabesque No.1 - Andantino con moto, Debussy
Rêverie, Debussy.
Quand je repense au passé, il me le fait voir à travers ses yeux. Sans lui, la page resterait blanche et je n’aurai rien pu vous raconter. Il m’a appris à voir des paysages qui s’agitent sous le vent dans les reflets des lampadaires sur le bitume mouillé.
Il m’a montré comment se forger une carapace, une bulle et s’y sentir protégé. Comment déserter et laisser le monde tourner tout autour.
Parfois je ne peux pas fuir, le monde resserre son étau. Il vient moins souvent ces temps-ci. La fenêtre reste entrouverte, ne rentrent que les courants d’air. Et la nuit referme son enveloppe de silence. Je reste amarré au quai, à scruter les lumières sous les lampadaires, désespérément statiques.
Illustration : Edward Hopper, Night Windows, 1928.
Voix du psychologue : Pierre Giraudeau.
J’ai vu mon Don Quichotte s’éloigner de notre monde, s'enfoncer dans le sien, dans les souvenirs perdus de sa jeunesse, les mythes de sa vie… Lui qui devait conquérir les vastes plaines ouvertes sur son cheval, je l’ai vu se replier peu à peu dans l’ombre des quatre murs étroits de sa maison, forteresse abandonnée.
Musique : Für Elise, Ludwig van Beethoven.
Illustration : Eugène Leroy, Autoportrait, vers 1958.
Elle a ce regard de ceux qui connaissent déjà la fin de l’histoire, qui pourraient dire « je te l’avais bien dit », mais qui se contenteront de sourire , pour sauver ce qui peut encore l’être. Elle ne m’en veut pas et c’est presque plus dur ainsi. En refermant la porte de son appartement, ce goût amer, ce sentiment que je pourrais faire mieux, tout arranger, trouver une formule magique quelque part. La guérir. Au lieu de ça, je pars en me disant que ça finira par aller mieux, qu’il y aura toujours des prochaines fois. Jusqu'à la dernière.
Musiques : Seventeen Seconds, The Cure, 1980.
You said, Fontaines D.C., 2020
Hey moon, John Maus, 2011.
Illustration : Markus Raetz, Tag oder Nacht, 1998.
Une taille haute, un regard plein de malice, une nonchalance feinte. Je l’ai vu passer la porte du salon et plonger au cœur de la soirée. C’est sur cet univers qu'il régnait en maître. Une heure plus tard, après avoir sympathisé avec tous mes amis, Narcisse était avec moi sur ce balcon. On riait bien, alors que le bouchon de la bouteille que j’essayais d’ouvrir venait de se désintégrer. Lui l’aurait ouverte sans fioritures. Évidemment.
Illustration : Pierre-Yves Bohm, visage bohémien, 2014, Musée des Beaux-Arts de Tourcoing.
Musiques : On s'aime pas (remix d'Alain Souchon), Max Gallo, 2018.
Green bird, Gabriela Robin, Cowboy bebop OST, 1998.
L'as-tu vu, toi aussi, cette lueur au fond de ses yeux ?
C’est la seule fois où tu m’en as reparlé. De cet individu qui était arrivé les poches vides et était reparti avec ton cœur.
Je me souviens du jour où nous l’avons rencontré.
Il dansait au fond de tes pupilles, comme la bougie d’une lanterne. Il était venu avec le cirque, avec l’été, enflammer nos vies. Il est parti et depuis, dans ton regard, la morne saison a pris ses quartiers.
Quelle est cette tristesse qui déborde de tes lèvres lorsque tu souris ?
Quels sont ces vœux que tu envoies au ciel, la nuit, lorsque je remonte la rue et que je t’aperçois, seule à ton balcon ?
Musiques :
Max Richter, Vladimir's Blues, 2004.
Anthony Romaniuk Bells, Romanian Folk Dances, Sz. 56: III. Pê-loc. Andante, 2013. Lucas King Piano, Dark Piano - Sociopath, 2018
Maurice Ravel, Gaspard de la nuit, M. 55 - II. Le gibet
Invadable Harmony, Dark piano - Lament, 2020
Illustration : Marc Chagall, La danse, 1967.
Avec les voix de Valentine Bernard et Malo Janin.
Les plus belle fleurs je les trouve sur les bords du périph.
Hercule,
Enfant terrible, prêt à tous les risques, tous les paris,
Graves ou futiles,
Pour un battement de coeur, pour tenter de vivre.
Fleur du périph, rose du péril.
Musique : Il existe un endroit, Bekar, 2023.
C’est devant la grande glace de sa chambre qu’elle s’inventait des maquillages magnifiques, bariolés, et qu’elle composait d’elle-même des pas de danses virtuoses. Elle remplissait sa solitude par un univers intérieur luxuriant, comme une serre qui semble abandonnée en extérieur mais qui abrite des plantes exubérantes et colorées.
Elle s’inventait des tenues toujours plus extraordinaires, des apparences, pouvait se grimer jusqu’à devenir méconnaissable. Peu à peu, l’ondine parvint vraiment à changer d’apparence. Un jour, elle vint au lycée avec un autre visage, personne ne fit attention.
Illustration : Deux profils face à face, Claire Teller, Musée LaM de Villeneuve-d'Ascq.
Musiques : Mentira, Adios Amores, 2020.
Boiler Suits and Combat Boots, The Umlauts, 2022
Il vivait près de chez moi, on s’est suivi de loin pendant l’adolescence. Il ne parlait pas beaucoup et comme je n’ai jamais fait trop d’effort pour aller vers lui, on a jamais vraiment été potes. Il n’avait pas beaucoup d’amis, une petite bande autour de lui, ils étaient très proches. Pour eux, il était comme un bijou fragile. Il n’était jamais vraiment dans les bons endroits, les bonnes tendances, comme un danseur à contretemps.
Il m’énervait un peu avec son air de beau jouet cassé.
Illustration : Johann Heinrich Füssli, Lycidas, 1796-1799.
Musiques de l'épisode : Monkey gone to heaven, Pixies, 1989.
Encore aujourd’hui quand j’entends la mélodie calme d’une source qui s’écoule, mon cœur se serre et je repense à ce sourire qui cachait une tristesse à la commissure des lèvres. A ces yeux qui regardaient en arrière vers des jours perdus.
Illustration : Ophelia, John Everett Millais, 1852, Gallerie Tate Britain de Londres.
Musiques : Theme from Harry's game, Clannad, 1982.
I won’t hurt you, The West Coast Pop Art Experimental Band,1966.
Oh such a spring, Fontaines D.C, 2020.
Lorsque mon alarme a sonné, quelques brumes traînaient encore sur mes yeux et quelques spectres dans ma tête. Je ne pourrais pas vous dire la date exacte mais je sais que c’était un lundi matin. Je ne pourrai pas dire la saison non plus. Il fait toujours gris ici de toute manière. Je me souviens que ma tête me piquait au réveil, que mes paupières me brûlaient. Mon corps me faisait mal comme s’il m'adressait un reproche. Mais j’avais rendez-vous chez le psy en fin de matinée. Il fallait que je me lève.
Illustration : Scène de rue, Raoul Dufy, 1877, Centre Pompidou.
Musique : Tuesday, mary in the junkyard, 2023.
La plus dure des solitudes est celle de l'abandon, des renoncements à l'ombre des regards, des écrasements dans le silence. Le désespoir ne broie pas, il absorbe. Peu à peu, dans ses sables mouvants. La solitude est sourde.
Le chien, Francisco de Goya (1819-1823), Musée du Prado Madrid.
Il faut aller loin dans le Musée du Louvre, tout au bout de l'aile Richelieu, au deuxième étage, dans un dédales de petites pièces étriquées, pour apercevoir un tableau discret, parmi les oeuvres allemandes, une vue sur un pan de montagne obscurci par la brume, qui n'offre comme sujet que deux pauvres pins rabougris qui paraissent presque s'esquiver à la vue du spectateur. Cette ascencion dans les corridors reculés du musée fait écho à celle du voyageur qui arpente les austères versants de la route du Grimsel.
Route du Grimsel, Alexandre Calame, 19e siècle, Musée du Louvre.
Parfois, en cherchant en vain l'éclat dans la grisaille terne de la ville, j'essaye de me souvenir que j'ai connu le soleil.
Paul Signac, La Corne d’Or, 1907, Wallraf Richartz Museum
Au bout de cette longue marche il était arrivé à la frontière de la connaissance. De livres en discours, de villes en pays, il se tenait là, au bord du monde connu. Toujours sans réponse. Le doute est-il la fin du voyage ?
Le moine au bord de la mer (1810), Casper David Friedrich, Alte Nationalgalerie, Berlin.
Comme à son habitude, Baudelaire est un peu trop tragique, il n'y a pas d'extase religieuse ici, mais plutôt quelqu'un qui n'a plus envie qu'on lui fasse la leçon.
« Voici la fameuse tête de la Madeleine renversée, au sourire bizarre et mystérieux, et si naturellement belle qu’on ne sait pas si elle est auréolée par le mort, ou embellie par les pâmoisons de l’amour divin. »
(Charles Baudelaire (1821-1867), Salon de 1845)
Eugène Delacroix, Marie Madeleine dans le désert, 1845, Musée National Eugène Delacroix https://www.musee-delacroix.fr/fr
Musique : Serge Reggiani, Sarah.